Ilana Raviv

[née Oppenheim]

Mon credo

Ilana Raviv (Oppenheim) : « Mon credo » – De l’art

Dans son livre intitulé « Lettres sur Cézanne », le poète allemand Rainer Maria Rilke écrit à sa femme une série de lettres dans lesquelles il décrit les émotions et la profonde et vive impression provoquées en lui par la visite d’une exposition à la mémoire de Cézanne au Salon d’Automne à Paris.

Rilke décrit dans ses lettres ce que l’exposition lui a permis de contempler, le caractère objectivement et réellement innovant des œuvres exposées et la nature du combat entre une objectivité concrète, pure, affranchie du passé et une subjectivité manifestant les émotions de l’âme. Cette opposition provoqua dans son travail d’écriture un bouleversement important reposant sur une idée essentielle : l’œuvre ne doit pas être étouffée ou accablée par le poids de la présence, des opinions, des sentiments, des convictions ou des intentions de l’artiste. Créer sans se préoccuper de son intérêt personnel et se concentrer tout entier sur son œuvre de création. Permettre à l’air pur de pénétrer à travers les opportunités qui se présentent et les surprises qu’elles entraîneront, c’est sur ce plan que je travaille.

« Etre là» : ces deux mots magiques renferment toute l’essence de mon travail et constituent aussi la devise qui gouverne ma relation avec les travaux dans lesquels je m’implique et auxquels j’accorde toute mon attention ; une devise qui s’applique aussi à tous les autres domaines de la vie, de ma vie. Se laisser aspirer, absorber et fusionner avec son œuvre, le créateur et son œuvre ne faisant plus qu’un.
Cézanne a transformé la conception romantique et sentimentale en un point de vue pragmatique et objectif Au lieu de décrire le sujet et d’exprimer ses sentiments, il a recréé à partir de ce qu’il voyait et de ce qui se trouvait là – sans interprétations, sans idées reçues du passé ni préconceptions d’aucune sorte.

Mes œuvres ne traitent pas d’idéologie, et en tant qu’artiste, je ne suis engagée au service d’aucun manifeste politique ni d’aucun credo académique.
Dès lors que l’art devient un outil au service de la politique, il perd de sa substance en tant qu’art, de sa capacité à aller au-delà de la réalité, et ainsi de se singulariser.

Je ne rentre pas dans des schémas de noms, de lieux, de tendances, de goûts et de modes changeantes. L’œuvre elle-même et le processus qu’elle engendre s’offrent de nouveau, à chaque instant, d’eux-mêmes uniquement. L’attention est tournée vers la surface de l’œuvre, de gauche à droite, de haut en bas, tandis qu’elle se crée et se transforme, à chaque instant, me surprenant sans cesse à nouveau – tout en elle provenant de l’ici et du maintenant qui ne se convient qu’à lui-même et qui crée une œuvre au-delà du temps qui demeurera pertinente à jamais.

Je crée des formes métaphoriques sur des sujets concrets qui s’échafaudent à différents niveaux, tantôt plus tendus, tantôt moins, en prenant des risques et en m’accordant une liberté absolue. Il s’agit d’une découverte et non pas de l’illustration de réflexions du passé. Mes œuvres peuvent être comparées au mouvement créé par un kaléidoscope, qui se réinvente à chaque nouvelle rotation.

Je tire mon inspiration de fresques murales préhistoriques et avance avec elles le long d’un sentier imprégné de l’esprit des œuvres de nombreux artistes tels que le Titien, Véronèse, Frans Hals, Velázquez, Cézanne, Matisse, Picasso, de Kooning ainsi que l’ artiste multidisciplinaire américain Knox Martin qui travaille à New York et qui a été pour moi un guide, un mentor, une source d’inspiration et dont la rencontre a été un immense privilège.

A mes yeux, la véritable liberté dans l’art réside dans les efforts accomplis pour se purifier autant que possible de toutes les pressions extérieures. Sans cela, il pourrait se perdre.

Ilana Raviv (Oppenheim)
Mai 2015

Source : Lettres sur Cézanne de Rainer Maria Rilke – Préface de Shimon Sandbank

Éditions Am Oved Ltd. 2003